Le « gut training » ou comment réduire les troubles digestifs à l’effort ?
Serge Pieters, Diététicien agréé, Diplôme d’Université en Nutrition du Sportif A.F. Creff (Paris), Conventionné par l’ADEPS pour le suivi des sportifs de haut niveau. Responsable du Groupe des Diététiciens du Sport de l’UPDLF. Contact : pieters.diet@gmail.com
Si les sportifs d’endurance s’entrainent c’est pour améliorer sur le plan locomoteur, cardiopulmonaire, … et psychologique. Cependant, peu d’athlètes entrainement spécifiquement leur tube digestif à l’effort. Or, le jour de la course, c’est bien souvent ce dernier qui permet la victoire ou plutôt la défaite.
Les troubles gastro-intestinaux (TGI) sont particulièrement fréquents chez les athlètes d'endurance (marathon, ironman, …) (Debrus, 2009). En fonction des modalités (type de sport, âge, sexe, niveau d’entraînement, durée et intensité, conditions climatiques), selon les études, 30 à 90% des coureurs de fond souffrent de problèmes intestinaux liés à l'exercice.
Le tube digestif (TD) est très sensible à l’activité physique sur le plan de la motilité et des sécrétions, ce qui induit une diminution des apports nutritionnels, une réduction des performances et une altération fonctionnelle.
Les symptômes peuvent être classés en tractus gastro-intestinal supérieur (nausées, pyrosis, vomissements, …) ou inférieur (douleurs, ballonnements, urgence à la défécation, diarrhées, pertes de sang, …). En règle générale, les problèmes du tractus gastro-intestinal inférieur sont de nature plus grave, mais tous les symptômes peuvent nuire à la performance et constituent une des principales raisons d’abandon.
Le tube digestif à l’effort
Malgré la forte prévalence de ces symptômes, l'étiologie de ces TGI à l’effort reste encore mal comprise.
Le sport induit une augmentation de l’activité sympathique et une diminution de l’activité parasympathique (Watelet & Bigard, 2005). Cela se traduit sur le tube digestif haut par une hyposialie avec modification de la composition salivaire, une altération des amplitudes, de la durée et la fréquence des ondes péristaltiques œsophagiennes, une réduction de la pression du sphincter œsophagien inférieur (SOI), une modification des sécrétions acide et de gastrine avec reflux gastro-œsophagien (RGO), un ralentissement de la vidange gastrique par une modification du tonus du pylore, induisant stase gastrique, lourdeurs, … (Watelet & Bigard, 2005)
Sur le tube digestif bas, la restriction du flux vasculaire par la veine porte avec des contraintes métaboliques importantes au niveau du foie, mais aussi une réduction des sécrétions exocrines du pancréas à la suite des catécholamines et des endorphines, une augmentation de la contractilité duodénale, une réduction de la motilité et de la vitesse de transit du grêle, une relaxation colique, avec réduction du péristaltisme, accélération du transit, diminution de la réabsorption colique, provoquant bruits d’eau, diarrhées osmotiques, urgence à la défécation et un relâchement du sphincter anal (Watelet & Bigard, 2005).
Il a été démontré qu'il existait une forte corrélation entre les TGI à l’effort et les antécédents de symptômes gastro-intestinaux, indiquant que certaines personnes sont plus prédisposées à développer des troubles et suggérant l'existence d'un important facteur génétique dans ces problèmes (Pfeiffer et al., 2012).
L'étiologie des TGI induit par l'exercice est multifactorielle (Watelet & Bigard, 2005). Si l'ischémie gastro-intestinale est souvent reconnue comme le principal problème, les erreurs nutritionnelles semblent être prédominants. D’autres pistes sont actuellement à l’étude dont la fonction de barrière intestinale (Pane et al., 2018) et l'absorption ont été étudiés (Jeukendrup, 2017).
La fréquence et les symptômes des TGI sont nettement plus importants chez les coureurs à pied que chez les cyclistes. Cela résulte de la répétition des impacts au sol et des ondes de chocs sur le tractus gastro-intestinal inférieur, associé à une ischémie intestinale serait probablement la cause du saignement (de Oliveira, Burini, & Jeukendrup, 2014). Tandis que le cycliste, en position plus stable et avec moins de chocs, sont moins sujets à ces problématiques. Cependant, les triathlètes et lors des épreuves contre la montre, dans la position dite aérodynamique rencontrent plus de symptômes gastro-intestinaux supérieurs. La raison étant une pression accrue sur l’abdomen du fait de la position du vélo. Les nageurs sont également plus sujets aux symptômes digestifs hauts.
Au cours d'une activité physique intense, la noradrénaline est libérée et liés aux récepteurs a-adrénergiques du système nerveux sympathique et induisant une vasoconstriction splanchnique (de Oliveira et al., 2014). Cela se traduit par une augmentation de la résistance vasculaire splanchnique tandis que, parallèlement, cette résistance vasculaire diminue dans d'autres tissus, tels que le cœur, les poumons, les muscles actifs et la peau. Au cours de l'exercice maximal, le débit sanguin splanchnique peut être réduit jusqu'à 80% et afin de fournir un débit sanguin important afin d’alimenter les muscles et permettre la thermorégulation au niveau de la peau (Watelet & Bigard, 2005; de Oliveira et al., 2014). L'hypovolémie augmente la fréquence des plaintes gastro-intestinales; 80% des marathoniens ayant perdu plus de 4% de leur poids corporel se sont plaints de symptômes gastro-intestinaux. Certains auteurs soutiennent l’idée que cette hypoperfusion splanchnique pourrait être réduite grâce à la production d'oxyde nitrique induisant une vasodilation des vaisseaux sanguins. Plusieurs options sont disponibles en jouant d’une part sur l'oxyde nitrique synthase dépendant (glutamine, arginine, citrulline) et l'oxyde nitrique synthase-indépendant (nitrate/nitrite) (van Wijck et al., 2012). Cependant, les sources végétales reconnues de nitrates alimentaires (les betteraves rouges, la salade, les épinards, les endives, le céleri, le fenouil, les poireaux, le chou chinois…) sont également parfois associées à des symptômes gastro-intestinaux (de Oliveira et al., 2014).
Des modifications de la motilité peuvent être observées à différents niveaux du tractus intestinal (Watelet & Bigard, 2005). Des diminutions de l'activité péristaltique œsophagienne, une diminution du tonus du SOI a été observée et pourraient être liées au RGO. Le sport à une intensité très élevée ou des exercices intermittents brefs à hautes intensités, de même que la pratique dans des conditions thermiques avec un état d’hypohydratation semble affecter de manière significative la vidange gastrique (de Oliveira et al., 2014).
L’exercice physique semble avoir peu d'effet sur l'absorption intestinale d'eau et de glucides. Cependant, lors d’une restriction hydrique, probablement liée à la déshydratation, la perméabilité intestinale (Leaky gut) peut être augmentée (Lambert, Lang, Bull, Pfeifer, et al., 2008).
La nutrition peut avoir une forte influence sur la détresse gastro-intestinale, même si de nombreux problèmes peuvent survenir en l'absence de toute prise alimentaire avant ou pendant l'exercice (de Oliveira et al., 2014).
La déshydratation, liée à un apport hydrique insuffisant, va exacerber les symptômes. Le choix de la boisson avant et pendant l’effort est essentiel (Pieters, 2011; Thomas, Erdman, & Burke, 2016). Dans une vaste étude, avec 221 athlètes d'endurance, la consommation de glucides était corrélée positivement aux nausées et aux flatulences (Pfeiffer et al., 2012). Cependant, les nausées étaient relativement légères et une consommation plus élevée de glucides était également corrélée à des temps d'arrivée plus rapides, ce qui suggère que les nausées n'avaient aucun effet négatif sur les performances. On peut supposer que les symptômes gastro-intestinaux ne sont pas simplement dus à un apport en glucides, mais qu’il peut s’agir d’une interaction complexe entre un certain nombre de facteurs tels que la concentration en glucides (>8%), le type de glucides (fructose >30g/h ; glucose >60g/h), l’osmolalité (<500 mOsm/L) et l’acidité d’une boisson qui seraient à l’origine de ces TGI (Pieters, 2012).
Il semble que les aliments qui retardent la vidange gastrique (lipides, fibres, protéines lentes) peuvent entraîner un transfert de liquides dans la lumière intestinale et sont plus susceptibles de provoquer des symptômes gastro-intestinaux.
Le risque de toxi-infection alimentaire est courant chez les sportifs qui doivent régulièrement voyager et/ou qui doivent nager dans des eaux dont la qualité est douteuse.
Parmi les autres causes fréquentes, l’usage des analgésiques afin de soulager la douleur existante ou de prévenir les douleurs à l’effort, ainsi que l’utilisation d’anti-inflammatoires non stéroïdiens non sélectifs (AINS) a été associée à un risque trois à cinq fois plus élevé de complications gastro-intestinales supérieures, de saignements muqueux ou de perforations par rapport à l'absence de médicament (de Oliveira et al., 2014).
Entraîner les tripes
Depuis plusieurs années, il a été suggéré que l’intestin pouvait être «conditionné» ou «entraîné» afin de réduire les TGI. A ce stade, les modalités du « Gut training » restent encore à définir.
Il a été démontré que les athlètes qui ne sont pas habitués à ingérer des liquides et des aliments au cours de l'exercice couraient un double risque de développer des symptômes gastro-intestinaux. De même, l'adaptabilité de l'intestin a été bien démontrée tant chez l’animal que chez l’humain. Pour ce faire, après 28 jours d’un régime riche en glucides sur une période de 28 jours, le groupe à teneur élevée présentait des taux d'oxydation des glucides exogènes plus élevés au cours de l'exercice (Cox et al., 2010). Ces résultats ont été attribués à une meilleure absorption, généralement associée à une meilleure tolérance aux liquides et aux aliments pendant l'exercice, ce qui aurait permis de réduire les risques de TGI. Cela signifie que plusieurs jours, et certainement deux semaines, d'un régime riche en glucides entraînerait une augmentation significative (40-70%) de la teneur en SGLT1 de la lumière intestinale.
De plus, il semble également que l’entraînement avec une stratégie nutritionnelle adaptée puisse améliorer la tolérance et le confort de l’estomac (Lambert, Lang, Bull, Eckerson, et al., 2008). Ils ont évalué la tolérance à l'ingestion de liquide après avoir bu plusieurs fois en courant et ce sur 5 cycles de 10 minutes. Par conséquent, il est important de s'entraîner à une stratégie nutritionnelle fondée sur la course et de s'habituer à ingérer de plus grandes quantités de liquides et/ou de glucides.
Lorsque les athlètes suivent un régime pauvre en glucides ou riche en graisses ou cétogène; ou encore réduisent l'apport énergétique pour perdre du poids, ils réduisent les capacités d'absorption des glucides pendant la compétition. Cela pourrait être une raison pour laquelle ces athlètes semblent signaler de manière anecdotique davantage de TGI. Il est conseillé à ces athlètes d’inclure des journées riches en glucides dans leur entraînement.
Des résultats préliminaires suggèrent que la réduction à court terme de FODMAP pourrait être une intervention bénéfique pour minimiser les symptômes gastro-intestinaux quotidiens chez les coureurs (Lis, Stellingwerff, Kitic, Fell, & Ahuja, 2018).
L'intestin étant adaptable, il semble judicieux d'inclure des stratégies nutritionnelles lors des entraînements hebdomadaires avec un apport élevé en glucides (boisson, aliments) et d'ingérer régulièrement des glucides pendant l'exercice.
En pratique :
Afin de prévenir les troubles gastro-intestinaux, quelques directives peuvent être fournies. Il faut noter que ces données sont basées sur des recherches limitées ou empiriques. Néanmoins, certains conseils semblent être efficaces (Debrus, 2009; Murray, 2006; de Oliveira et al., 2014) :
- Ingérer un régime alimentaire riche en énergie et en glucides les jours qui précèdent la compétition afin de maximaliser les réserves en glycogène
- Il faut veiller à fournir des glucides complexes avec une faible teneur en fibres insolubles. Lors des entraînements, un régime suffisant de fibres permet de maintenir les fonctions intestinales.
- Prendre le repas précompétitif au moins 3h avant le début de l’échauffement. Favoriser les protéines rapides et limiter les graisses. Éviter la suralimentation avant et pendant l'exercice.
- Limiter la déshydratation. Commencer la course (ou l'entraînement) bien hydraté. Objectif urines claires.
- Il faut s’entraîner à boire pendant les entraînements
- Les recommandations actuelles recommandent un apport en glucides allant jusqu’à environ 60 g pour des exercices d’une durée allant jusqu’à 2 h. Lorsque l'exercice dure plus de 2 h, des quantités légèrement supérieures de glucides (90 g / h) sont recommandées. Ces glucides doivent consister en un mélange de plusieurs glucides (glucose:fructose (2:1) ou maltodextrine: fructose (2:1)).
- Éviter les aliments et les boissons hypertoniques riches en énergie avant et pendant l'exercice: Bien se préparer à la chaleur par une bonne acclimatation.
- En ambiance chaude, il est utile de commencer l’hydratation avant l'exercice afin de stimuler la vidange gastrique.
- Expérimenter à plusieurs reprises le plan de nutrition et d’hydratation de la course.
- Limiter les médicaments AINS, l'alcool, la caféine, les épices, les antibiotiques et les suppléments nutritionnels.
- Avant l'exercice, le sportif doit passer aux toilettes et commencer l'exercice vigoureux et prolongé avec une vessie et un côlon vide.
- Consulter un gastro-entérologue si les TGI persistent, en particulier les douleurs abdominales, la diarrhée ou les selles sanglantes.
En conclusion, l'exercice physique entraîne de nombreux changements dans le tractus intestinal et la plupart de ces effets peuvent avoir des conséquences sur la santé. L’intestin étant un organe important pour la distribution d’eau et de nutriments à l’effort, il est essentiel de l’entraîner avant la compétition. Le diététicien joue un rôle essentiel afin de guider l’athlète à faire des choix judicieux et de l’aider à définir une stratégie hydrique et alimentaire pour la compétition afin de réduire les risques de contre-performances.
Bibliographie :
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de Oliveira, E. P., Burini, R. C., & Jeukendrup, A. (2014). Gastrointestinal Complaints During Exercise: Prevalence, Etiology, and Nutritional Recommendations. Sports Medicine, 44(S1), 79‑85. https://doi.org/10.1007/s40279-014-0153-2
Debrus, R. (2009). Les troubles gastro-intestinaux chez les sportifs d’ultra-endurance : comment y remédier ? (Promoteur Pieters S.). TFE - IPL, Bruxelles.
Jeukendrup, A. E. (2017). Training the Gut for Athletes. Sports Medicine, 47(S1), 101‑110. https://doi.org/10.1007/s40279-017-0690-6
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Lambert, G. P., Lang, J., Bull, A., Pfeifer, P. C., Eckerson, J., Moore, G., … O’Brien, J. (2008). Fluid restriction during running increases GI permeability. International Journal of Sports Medicine, 29(3), 194‑198. https://doi.org/10.1055/s-2007-965163
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Watelet, J., & Bigard, M.-A. (2005). [Gastrointestinal and liver disorders in athletes]. Gastroenterologie Clinique Et Biologique, 29(5), 522‑532.
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